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Définition de la Précarité Energétique

Précarité énergétique, sa génèse et ses perspectives

Isolde Devalière, Sociologue. Centre Scientifique et Technique du Bâtiment, Université Paris-Est.

 

La précarité énergétique est devenue en quelques années, face à la flambée du prix des combustibles, un véritable enjeu de société qui lie le mal logement et la vulnérabilité à la problématique du confort moderne. Si les approches des ménages en précarité énergétique sont multiples et requièrent des dispositifs différenciés, il est aujourd’hui nécessaire de mieux appréhender les facteurs pour mieux appréhender un phénomène en pleine croissance.

 

Un champ en construction

 

La notion de précarité énergétique est à replacer dans une problématique de gestion du budget des ménages. L’énergie seule est rarement à l’origine d’une situation de précarité mais elle contribue à fragiliser le budget d’un ménage lorsque le logement est mal isolé et le besoin de chauffage accru. Les ménages consomment l’énergie non pas en homo economicus, selon un schéma de rationalité purement économique, mais selon des besoins psychologiques, des critères de décision, des systèmes de contraintes, de normes et de valeurs qui forment alors un univers rationnel propre à chacun (Maslow 1954 ; Simon 1958).

L’émergence du terme de précarité énergétique désormais institutionnalisé suscite le questionnement. La précarité énergétique renvoie-t-elle à un groupe spécifique au même titre que les « désaffiliés » (Castel 1991), les « exclus » (Paugam 1996) ou les « assistés » (Simmel 1998) dans la mesure où leur statut social leur octroie des aides spécifiques ? Serait-elle une catégorie artificielle pour désigner « les pauvres mal logés » ? En effet, qu’y a-t-il de commun entre l’héritier d’une ancienne ferme inchauffable, un locataire dont la maison préfabriquée est équipée de « grilles-pain » et un propriétaire dont le loft pâtit de ponts thermiques ? Chacun d’eux partage les mêmes conséquences : un inconfort lié à de fortes déperditions de chaleur, une difficulté à régler ses factures, un repli sur soi progressif et pour certains des problèmes de santé, de sécurité, voire un risque d’impayé et de coupure d’énergie.

 

Méthodes de repérage des situations de précarité énergétique

 

Les études réalisées à l’étranger montrent que l’approche du problème repose essentiellement sur le mode de repérage et d’identification des ménages et que les méthodes employées aboutissent à des résultats différents en termes de classification des ménages selon les pays. Ainsi, la méthode « objective » (Angleterre, République Tchèque et Macédoine) qualifie les ménages en situation de précarité énergétique lorsqu’ils doivent consacrer plus d’une certaine part de leurs revenus à la consommation d’énergie domestique. La méthode « subjective » (Irlande) s’appuie sur les déclarations des ménages quant à leur capacité à chauffer leur logement de manière adéquate ou à payer pour avoir une consommation énergétique suffisante. Selon une étude comparative (Waddams Price et al., 2007), 29 % des interviewés sont en situation de précarité énergétique sur une seule des deux dimensions, objective ou subjective.

Si le Royaume-Uni a défini la population en « fuel poverty » à partir de critères objectivés (taux d’effort énergétique supérieur à 10%), la France a pour l’instant retenu le même ratio sans pouvoir le conforter sur une même réalité puisqu’il ne tient pas de la qualité thermique des logements concernés.

 

Profils des ménages en précarité énergétique

 

Selon l’approche retenue par le Grenelle de l’Environnement, 3 400 000 ménages français seraient en situation de précarité énergétique (soit 13 % des ménages) dont 70 % appartiennent au premier quartile de niveau de vie (regroupant les ménages les plus modestes), 87 % sont logés dans le parc privé et 62 % sont propriétaires1.

Les propriétaires de maisons individuelles à faibles revenus seraient considérés comme les plus vulnérables car leur taux d’effort énergétique est deux fois plus élevé que la moyenne nationale (5,6%). C’est ce qui justifie qu’une partie de leurs travaux de rénovation soit prise en charge par les pouvoirs publics.. Néanmoins, ces seuls critères sont insuffisants pour attester d’une situation de précarité énergétique. La précarité énergétique est étroitement liée au manque de maîtrise de son système de chauffage et par conséquent au statut d’occupation2. Les locataires concernés sont dépendants du bon vouloir de bailleurs négligents ou infortunés (Devalière, CSTB, 2010). Ainsi il est possible de constater que les familles en proie à des difficultés pour se chauffer adoptent des comportements de restriction et des combines diverses (ajout de vêtements, chauffage dans une pièce unique, recours à un poêle, calfeutrage des ouvrants) afin d’accéder de façon provisoire au confort. Les ménages qui font des arbitrages permanents pour pouvoir se chauffer dépensent parfois plus, mais souvent moins de 10% de leurs ressources dans leurs factures d’énergie. Une analyse statistique réalisée à partir de l’indicateur du froid dans le logement3 (ENL 2006) conforte ce résultat puisque 70% des ménages qui se plaignent du froid ont un taux d’effort énergétique inférieur à 10% (charges collectives comprises).

Par ailleurs, c’est davantage sur des territoires urbains que l’on relève les situations d’inconfort thermique associées à la pauvreté. Si les cas de figures sont multiples, les ménages concernés vivent majoritairement dans des logements sociaux ou à défaut, dans des logements privés mal entretenus et sont dès lors victimes de marchands de sommeil.

 

Quelles perspectives ?

 

Il est nécessaire de se demander si les bailleurs sociaux ont aujourd’hui la possibilité d’offrir un logement confortable aux plus fragiles et s’ils ont, au-delà du plan ANRU, les moyens d’améliorer de façon massive la qualité thermique de leur parc au regard du coût d’une réhabilitation, sans pénaliser leurs occupants.

Fort de ces préoccupations, le groupe de travail chargé de faire des propositions dans le cadre du Plan national de lutte contre la précarité énergétique a insisté en janvier 2010 pour donner un cadre d’intervention concernant les « passoires thermiques » en limitant par étapes la possibilité de louer les logements les moins performants, et en contraignant les bailleurs à réaliser des travaux. Cette avancée est essentielle pour limiter les phénomènes de précarité énergétique qui ne peuvent que s’intensifier avec l’augmentation des coûts de l’énergie inhérente à l’ouverture du marché et à la fin prévisible des tarifs réglementés.

 

Mots clés : Pauvreté, énergie, méthode, institution, habitat.

 

Notice biographique 

 

Isolde Devalière est sociologue au Laboratoire Services, Process et Innovations du CSTB. Elle est diplômée d’un DESS Aménagement et d’un DEA Urbanisme et Société à l’Institut d’Urbanisme de Paris.

Membre du comité de pilotage du Réseau des Acteurs de la pauvreté et de la Précarité Energétique dans le Logement (RAPPEL) et du Club d’Amélioration de l’Habitat (CAH) sur cette thématique, elle accompagne les organismes publics et des collectivités territoriales à la mise en œuvre et à l’évaluation de programmes et de politiques de lutte contre la précarité énergétique, en s’appuyant sur son expertise de terrain et sur les travaux de recherche qu’elle mène en étroite collaboration avec l’Institut National de la Statistiques et des Etudes Economiques (INSEE).

 

 

Références bibliographiques

 

Bourdieu, Pierre. 1979. La Distinction, Paris : Ed. de Minuit, Coll. Le sens commun. Castel,  Robert. 2009. La montée des incertitudes. Paris :  Seuil.

Dard, Philippe. 1986. Quand l’énergie se domestique… Observations sur dix ans d’expériences et d’innovations thermiques dans l’habitat, Paris : Plan Construction / CSTB.

Devalière, Isolde. 2010. Identification des processus de précarisation énergétique des ménages et analyse des modes d’intervention dans deux départements, Rapport CSTB, PUCA, ADEME, CSTB, Juin 2010.

Devalière Isolde. 2008. Au-delà des impayés, comment appréhender la précarité énergétique ? , revue Espace, Populations, Sociétés, 2008-1, pp 191 - 209.

 

Devalière Isolde. 2007. Comment prévenir la précarité énergétique ? Les leviers possibles et les risques inhérents à la libéralisation du service de l’énergie, Les Annales de la Recherche Urbaine, n°103, pp 137-143.

 

Maslow, Abraham. 1954. Motivation and personality, New York : Harper.

Paugam, Serge. 1991. La disqualification sociale. Paris :  PUF.

Simmel, Georg. 1998. Les pauvres, Paris: PUF, Quadrige.

Simon, Herbert. 1958, Organization. New York : John Wiley and sons

Waddams, Price et al. 2007. “Identifying fuel poverty using objective and subjective measures”, CCP Working Paper 07-11.

 

Source : métropolitiques - https://www.metropolitiques.eu/La-precarite-energetique-retour.html


1Enquête Nationale Logement, INSEE 20

2Dans l’échantillon total, 7 personnes en précarité énergétique sur 10 sont locataires, sensiblement plus en secteur social que privé (42% locataires en France, INSEE 2007).

3Variable « G CHAUF » de l’Enquête Nationale Logement 2006 : « Au cours de l’hiver dernier, dans votre logement, votre ménage a-t-il souffert pendant au moins 24 heures du froid ? »